Grichka Commaret est peintre ; sa soeur Tohé, vidéaste. Tous·tes deux ont grandi dans les années 1990 au 21 avenue Maximilien Robespierre à Vitry-sur-Seine,sur la dalle où, des années auparavant, une partie de leur famille avait émigré du Chili. Cet espace matriciel occupe depuis plusieurs années une place centrale dans leurs oeuvres respectives. Le lieu de l’enfance est devenu une interface plastique, concrète et hallucinée, où leurs préoccupations conversent non sans complémentarité : si la peinture de Grichka s’intéresse d’abord aux espaces – corridors, ascenseurs, interphones, grilles – qui participent du décor immuable de la dalle, Tohé, elle, filme celles et ceux qui la parcourent en quête de signes. Pour l’un·e comme pour l’autre, l’observation presque archéologique des lieux s’allie à une surinterprétation des détails et des souvenirs qui les composent, une manière de faire naître la fiction à l’écran ou le surréalisme sur la toile. Par l’intermédiaire de motifs partagés, les films de la soeur et les peintures du frère semblent parfois communiquer souterrainement : sur la toile une bouche s’approche du halo d’un lampadaire, à l’écran une fille mange de la lumière ; un oeil peint à l’acrylique s’ouvre, dans le film sa pupille est rouge ; des chiffres se succèdent tandis que l’ascenseur grimpe vers les étages 8… 9…11… 25…

Conçue comme une conversation entre leurs travaux respectifs, l’exposition « Miss Recuerdo » intervient à l’occasion de la réalisation de leur premier film commun, Palma, et en présente deux extraits. Tourné à Vitry-sur-Seine, le film sonde une disparition : celle de Paloma, figure populaire du quartier partie en laissant derrière elle un message énigmatique. Son départ interroge la possibilité de s’émanciper d’une bulle familiale et sociale où coexistent des sentiments d’aliénation et d’attachement profonds.

Les pièces présentées en parallèle de Palma ont pour la plupart été pensées et produites dans la même temporalité que le film, soit entre la fin de l’année 2024 et les premières semaines de 2025. Elles sont, en ce sens, organiquement liées au film et influencées par cette expérience de collaboration étroite. Débordant leurs dimensions habituelles, certaines toiles de Grichka Commaret prélèvent directement dans le réel leur format et leur qualité d’objets à la fonction oubliée. Les films Pukyu, Mustard et 8 nous introduisent, eux, à la dimension labyrinthique de la pensée cinématographique de Tohé Commaret : les écrans et les récits s’emboîtent, les rumeurs circulent et les actrices issues de son entourage refont surface d’un film à l’autre pour incarner des figures connectées à des réalités impalpables. Du plateau de tournage de Palma aux salles d’exposition de la Fondation Pernod Ricard, CluelesS – le duo de designeuses formé par Saloméja Jacquet et Clara Stengel – participe à l’écriture spatiale de « Miss Recuerdo ». En accentuant l’exiguïté, l’ambiguïté ou le caractère liminaire des espaces, leur proposition participe de l’éclosion d’un réalisme magique sous-jacent dans les productions de Grichka et Tohé Commaret.

Elsa Vettier
Commissaire de l’exposition